Deez is la tech — S02E01 — La recherche scientifique, moteur d’innovation interne et de rayonnement international

Deez is la tech fait sa rentrée !

Après avoir parlé de “recherche” en tant que fonctionnalité du produit Deezer dans le dernier épisode de la saison 1, nos équipes inaugurent aujourd’hui la saison 2 de ce podcast fait maison en s’intéressant à la “recherche” au sens scientifique du terme.

Qu’est-ce que la “recherche” ? À quoi sert-elle ? Qu’a-t-elle permis de trouver chez Deezer ? Vous le découvrirez en écoutant ce nouvel épisode ou en lisant sa transcription écrite ci-dessous. Bonne écoute et bonne lecture !

Note: This post accompanies the release of the first episode of the second season of “Deez is la tech”, a podcast created by Deezer’s Product & Tech teams — in French only for now. You can still find English content on deezer.io though. Go check it out!

Résumé de l’épisode

Chaque société ne possède pas nécessairement de pôle de recherche. Pourtant, la recherche scientifique peut s’avérer utile, voire nécessaire, pour résoudre des problématiques propres à un secteur d’activité et permettre à une entreprise de se développer, tout en amplifiant son rayonnement.

Chez Deezer, l’équipe de recherche s’est créée en 2012 afin de répondre à des besoins de recommandation. Depuis, ses chercheurs et chercheuses n’ont eu de cesse d’explorer de nouveaux sujets relatifs à la musique et à l’audio.

Qui compose cette équipe aujourd’hui et comment s’organise-t-elle ? Sur quels sujets travaille-t-elle ? Qu’a-t-elle trouvé et qu’advient-il de ses résultats ? Enfin, quels sont les apports de la recherche pour une entreprise comme Deezer ?

Pour répondre à ces questions, Loïc Doubinine (@ztec6) et Vincent Lepot (@neozibok) reçoivent Romain Hennequin (Head of Research — Romain Hennequin), Aurélien Hérault (Chief Innovation Officer — @dokydeezer) et Rodolfo Ripado (Engineering Manager). En plus de démystifier la recherche appliquée au domaine du streaming musical (traitement du signal, machine learning, intelligence artificielle, etc.), ceux-ci prodiguent quelques conseils pour mieux appréhender la recherche en entreprise et envisager d’y dédier une équipe.

Épisode disponible également sur Deezer | Apple Podcasts | Spotify | Amazon Music.

Transcription

[00:00:06.720] — Vincent : Bonjour et bienvenue dans Deez is la tech, le podcast qui n’pète ni les plombs, ni les crons ! Créé et animé par les équipes Product & Tech de Deezer, ce programme aborde des sujets relatifs aux mondes de la tech et du streaming musical et vous fait occasionnellement découvrir les coulisses de certaines des fonctionnalités phares de Deezer. Rejoignez-nous chaque mois pour une nouvelle discussion entre collègues et pairs, en toute décontraction, mêlantê partage d’expériences, bonnes pratiques et réflexions sur les tendances futures. Prêts pour un nouvel épisode ? Chaussez vos écouteurs, ça commence maintenant !

[00:00:43.280] — Loïc : C’est reparti pour une saison de Deez is la tech. Nous avions terminé la saison dernière en vous parlant de moteur de recherche et nous entamons la nouvelle en vous parlant encore de recherche, mais scientifique cette fois. Deezer peut s’enorgueillir d’avoir une équipe de chercheurs et de chercheuses sur différents sujets relatifs à la musique et l’audio depuis 2012. Qui compose cette équipe et comment travaille-t-elle ? À quoi a-t-elle abouti ? Que faisons-nous des résultats ? Et enfin, quel intérêt pour une entreprise comme Deezer ? Pour répondre à ces questions, Vincent et moi recevons Romain, Aurélien et Rodolfo. Laissons-les se présenter.

[00:01:14.850] — Romain : Je suis Romain Hennequin, je suis Head of Research dans l’équipe Deezer Research. J’encadre l’équipe des chercheurs et des doctorants de Deezer Research. Je pense qu’on va revenir un peu plus en détail sur ce qu’on fait plus tard.

[00:01:29.710] — Aurélien : Bonjour ! Moi, c’est Aurélien Hérault. J’opère chez Deezer depuis 16 ans maintenant et je suis en charge de plusieurs équipes, notamment l’équipe R&D et l’équipe Data Science, mais aussi Labs, New Tech Services et Diversification.

[00:01:44.620] — Vincent : Et c’est ta deuxième fois dans Deez is la tech puisque tu étais déjà venu pour le Flow.

[00:01:48.160] — Aurélien : Exactement. Et merci pour l’invitation.

[00:01:50.950] — Loïc : À travers Zoom, nous avons Rodolfo !

[00:01:52.900] — Rodolfo : Bonjour ! Moi, c’est Rodolfo Ripado. Je suis ingénieur de recherche dans l’équipe de recherche (“Research”), et je lead le petit pôle d’ingénieurs de recherche dans la même équipe, dont on parlera — je pense — un peu plus tard.

[00:02:09.880] — Loïc : Très bien. Et nous sommes réunis aujourd’hui pour parler de la recherche. Que pouvez-vous nous dire sur la recherche à Deezer ? Romain ?

[00:02:16.450] — Romain : La Recherche à Deezer, c’est une équipe qui travaille sur des sujets un petit peu ouverts et un peu en déconnexion de la prod, des sujets à risque dont le but va être de développer des nouvelles applications de Deezer, des nouvelles fonctionnalités qu’on pourrait utiliser dans Deezer ou du traitement de données qui pourrait être utilisé par d’autres équipes dans Deezer. Comme dans tout projet de recherche au-delà de Deezer, il y a une forte composante de risque et d’ouverture des projets qui fait que, potentiellement, ça ne marche pas à la fin. C’est-à-dire que ce sont des projets pour lesquels on ne sait pas si, à la fin, ils pourront être utilisés dans le produit, parce qu’il y a une dimension où l’on ne sait pas à quel point on pourra faire ce que l’on cherche à faire quand on commence le projet. Voilà un petit peu l’idée de la recherche. Je ne sais pas si tu veux en dire plus, Aurélien ?

[00:03:09.600] — Aurélien : Non, je pense que tu as très bien résumé. Peut-être que l’on pourrait préciser que c’est de la recherche scientifique, donc avec toute une méthodologie, tout un panel de critères et de méthodes qui ont été mis en place et affinés au fur et à mesure des années. Comme tu l’expliques, c’est un pari sur l’avenir où l’on va créer de la connaissance d’abord pour pouvoir en faire des applications ensuite, ce qui amène à la publication de papiers de recherche — qui est d’abord le stade de connaissance — avant d’arriver à l’applicatif et à la production ensuite.

[00:03:43.990] — Vincent : Ce qui est vraiment important, c’est de dire que ce que vous faites dans la société, ce n’est pas uniquement pour Deezer, c’est quelque chose que vous reversez à la communauté scientifique derrière.

[00:03:52.600] — Romain : Tout à fait. Comme l’a évoqué Aurélien, il y a cet aspect publication qui est très important à nos yeux et qu’Aurélien nous a permis de développer au fur et à mesure de l’existence de l’équipe. Effectivement, on travaille sur des sujets ouverts, où l’on ne sait pas forcément si ce que l’on fait va marcher et à quel point ça va marcher. Et à la fin d’un projet, généralement, on écrit une sorte de rapport technique, un papier scientifique, que l’on va soumettre à une conférence scientifique ou une revue scientifique. Ce papier ne part pas juste dehors comme ça, il est évalué par les pairs, c’est-à-dire des gens qui sont dans le même domaine que nous et qui vont dire : “Cette recherche est de qualité suffisante pour être publiée dans telle conférence ou dans telle revue.” L’article est alors publié à la communauté et on partage ces connaissances, ces travaux qu’on a faits. D’un point de vue d’une entreprise, ça peut paraître un petit peu bizarre de se dire : “On va partager des connaissances, on met de l’argent dans des gens qui font des travaux et qui, à la fin, partagent le fruit de leurs travaux.” Mais c’est extrêmement important et ça permet justement de développer une connaissance globale. On l’a beaucoup vu ces dernières années dans le domaine de l’intelligence artificielle, où les grandes boîtes vont driver ce sujet-là. On peut parler de Google, de Facebook, d’OpenAI, etc., qui ont des équipes de recherche dédiées qui vont publier beaucoup, ce qui va permettre de faire transiter la connaissance et que tout le monde puisse profiter de ces avancées. Effectivement, nous, on fait profiter d’autres entreprises et la recherche publique de nos avancées, mais en retour, on s’attend à ce que les gens jouent le jeu et qu’on en profite aussi. Jusqu’alors, dans ce domaine-là en tout cas, c’est quelque chose qui parait assez bien marcher. En tout cas, pour tout ce qui est connexe à l’intelligence artificielle, ça a aidé énormément à une progression très, très rapide.

[00:05:51.950] — Rodolfo : Pour revenir sur ce que la Recherche fait, on a aussi des outputs en interne. Il ne s’agit pas juste de publier des articles. On publie des articles, mais après, on essaie aussi de faire en sorte que ces articles et que ces résultats de recherche, parfois, quand ils sont pertinents pour l’entreprise directement, donnent lieu à des prototypes en interne, soient présentés en interne, et de voir si l’on peut, d’une manière ou d’une autre, améliorer le produit avec la recherche.

[00:06:15.660] — Vincent : Comment c’est venu, la création de cette équipe au sein de Deezer ? C’était une volonté dès le départ ou c’est quelque chose qui est venu par la suite ?

[00:06:22.160] — Aurélien : Quand on commence une société, ce n’est pas quelque chose que l’on va se dire : “On va développer un département de recherche.” Même si l’on sait qu’historiquement, industriellement parlant, les grandes entreprises sont dotées de pôles de recherche. C’est venu d’une nécessité pour la société. Je pense qu’il faut re-contextualiser un petit peu Deezer : la gestion de grands catalogues, la Big Data, c’était relativement nouveau en 2007, 2008, 2009, 2010 jusqu’à 2012, où l’on a décidé d’ouvrir un département de Recherche et Développement, qui était d’ailleurs plutôt orienté sur le benchmark technologique plus que sur la recherche fondamentale. C’était une nécessité de rester compétitif. Pour rester compétitif — et c’est une notion que l’on peut avoir dans la recherche, il y a l’état de l’art, ce que tout le monde sait, la connaissance globale. Mais comment on va plus loin ? Comment on met des équipes qui vont aller creuser un sujet sur une problématique particulière de l’entreprise ? Parce que notre domaine est particulier, on a aussi contribué technologiquement au développement de tout l’environnement du streaming et de la gestion de métadonnées à grande échelle, la gestion de logs, etc. Et c’est venu de problématiques très concrètes où l’on a vu des limites dans notre ingénierie, où il n’y avait pas de solution, et il fallait trouver une nouvelle solution pour demain. C’est comme ça qu’est né le département de Recherche, que ce soit pour des fins de recommandation, de gestion de métadonnées, d’exploitation d’informations dans le signal… Je me souviens, en 2007, avoir rencontré Tristan Jehan, qui est l’un des fondateurs d’Echo Nest, et déjà on regardait cette entreprise en se disant : “Ils se concentrent sur les métadonnées, sur des problématiques bien particulières. Pourquoi ?” Et c’est comme ça, au fur et à mesure, et en expérimentant nous aussi, que l’on est venu à créer un département de recherche, qui était une équipe de deux au départ, puis de trois, puis de quatre. Et puis maintenant, on est combien ?

[00:08:29.470] — Romain : Entre 15 et 20, suivant comment on compte.

[00:08:32.840] — Loïc : Si l’on compte les stagiaires ?

[00:08:34.580] — Romain : Il y a plusieurs types de profils. Il y a les chercheurs, qui sont généralement des gens qui ont déjà une expertise de recherche, donc qui ont généralement fait une thèse de doctorat dans un labo de recherche et qui ont généralement un domaine de spécialité, un domaine de compétences relativement précis — ça peut être le traitement du signal audio, le traitement automatique du langage, les systèmes de recommandation, l’interaction homme-machine ou plus généralement l’apprentissage statistique. Les chercheurs vont faire des projets un peu spécifiques dans ce domaine, éventuellement en collaboration avec les autres chercheurs, pour avoir une expertise transverse quand les sujets le nécessitent. Ce sont eux qui vont produire la recherche. Il y a des chercheurs qui ont des postes de permanents et on a aussi des chercheurs en devenir, des apprentis chercheurs que sont les doctorants. On fait des thèses de doctorat en interne, en partenariat avec des laboratoires — puisque de toute façon, quand on fait une thèse de doctorat, on est rattaché à un laboratoire, à une école doctorale — et on a certaines personnes qui sont des employés de Deezer pendant qu’ils font leur thèse. Il y en a déjà deux qui ont soutenu leur thèse dans ce cadre-là. Il y en a un troisième qui va soutenir bientôt et il y en a deux qui viennent de commencer une nouvelle thèse. On a également des thèses qui sont faites en partenariat avec Deezer mais où le doctorant n’est pas employé par Deezer. Typiquement, sur le projet RECORDS — peut- être qu’on reviendra dessus un peu plus tard — il y a des doctorats qui ont été financés. Il y a notamment la thèse de Tina qui est financée par ce projet et Tina va travailler en très grande collaboration avec nous et avec l’équipe, mais n’est pas employée de Deezer. Ça, c’est le deuxième type de profils que vont être les doctorants. On a également des ingénieurs de recherche. Rodolfo, peut-être que tu veux dire un mot sur le rôle des ingénieurs de recherche ?

[00:10:21.920] — Rodolfo : Oui, je peux préciser. Le profil des ingénieurs de recherche est assez différent. Ce sont des ingénieurs en général software avec une appétence pour le machine learning, l’intelligence artificielle, la data, le traitement de signal. Et la spécificité peut-être de leur travail — ou de notre travail au sein du pôle ingénierie — c’est de devoir faire le grand écart technologique, c’est-à-dire de devoir être très curieux et touche-à-tout, autant à des algorithmes de machine learning que des API Web qu’à la stack Big Data… Ce sont des ingénieurs qui sont assez généralistes.

[00:10:54.380] — Loïc : C’est vous qui allez faire la liaison entre la recherche fondamentale des chercheurs qui vont dire “il faut faire ça comme ci ou comme ça” de manière optimale on va dire, en l’appliquant concrètement à un usage avec les limitations qu’on peut avoir. Comme tu disais, mettre en place une manière d’accéder à des outils de recherche pour traiter du son, mais adaptée à un cas réel et non plus théorique ?

[00:11:23.580] — Romain : Tout à fait. En fait, les ingénieurs de recherche ont plusieurs rôles. Ils ont un rôle, effectivement, d’aide au passage en production de projets. Tu parles de recherche fondamentale, mais on ne fait pas vraiment de la recherche fondamentale. C’est toujours de la recherche appliquée, qui ne va pas forcément avoir des applications, mais c’est toujours sur des sujets appliqués. On fait très peu de recherche vraiment fondamentale, complètement déconnectée des applications. Et donc, quand on a un travail qui nous paraît pertinent, et en collaboration avec les autres équipes plus proches du produit qui vont peut-être nous faire remonter des besoins vis-à-vis de ce projet-là, les ingénieurs vont effectivement avoir un rôle de passage en production de ces produits, puisqu’ils ont une expertise sur les problématiques de production que ne vont pas avoir les chercheurs.

[00:12:09.170] — Loïc : Comment mettre à l’échelle une solution technique qui a été prévue pour tourner localement dans un environnement contrôlé, quoi.

[00:12:15.930] — Romain : Tout à fait. Tu donnes un très bon exemple. Il peut arriver qu’on ait des projets qui aboutissent à de l’extraction d’informations des pistes de musique. On entraîne des systèmes d’apprentissage statistique à classifier la musique, par exemple. Ces systèmes qui sont faits par les chercheurs, il faut les déployer en production à grande échelle sur tout le catalogue. Donc, effectivement, il y a une problématique de mise à l’échelle qui va être plutôt traitée par les ingénieurs. Ils ont aussi un rôle de support de l’équipe et ils vont aussi, le plus possible, essayer de répandre des bonnes pratiques sur le code. On a parlé de publication, mais avec une publication, il peut aussi y avoir la publication du code qui va avec le projet. Et effectivement, là, ils vont aussi intervenir sur les bonnes pratiques et l’expertise sur la partie plutôt développement logiciel.

[00:13:05.200] — Loïc : Et puis peut-être mettre en place des outils ou des environnements qui permettent aux chercheurs de travailler plus efficacement ou juste de pouvoir travailler tout court ?

[00:13:11.470] — Romain : Oui, c’est arrivé. Il y a toute une toolbox qui a été développée par cette équipe-là, qui permet de faciliter le travail des chercheurs. Ils sont en support des chercheurs et ils ont aussi un rôle de développement de prototypes. Alors, c’est peut-être un peu moins vrai maintenant qu’il y a la nouvelle équipe Labs qui a pris ça en main, mais ça a été vrai pendant longtemps. Il y a tout un tas de prototypes qui ont été développés, des prototypes de démonstration de projets qui avaient été développés dans le cadre de la recherche.

[00:13:52.580] — Vincent : Est-ce que vous auriez des exemples de projets sur lesquels vous avez travaillé ou sur lesquels vous travaillez ? Je ne sais pas à quel point on est sur des sujets confidentiels ou pas.

[00:14:01.790] — Aurélien : Oui, j’en ai un qui me vient à l’esprit, c’est le fingerprint — quelque chose qui me tient à cœur et sur lequel on travaille depuis des années.

[00:14:09.350] — Vincent : Et dont on avait déjà parlé quand tu étais venu la dernière fois.

[00:14:11.350] — Aurélien : En fait, c’est une bonne illustration de ce que l’on peut faire avec la recherche et notamment aussi l’ingénierie de pointe. Partir d’une problématique concrète qui est la gestion du catalogue, des audios qu’il y a dans notre catalogue et à quel point ce type de technologie — qui était déjà au niveau de l’art au moment où on l’a implémentée — peut encore aller plus loin avec de nouvelles problématiques qui sont en place aujourd’hui. Typiquement avec la distorsion du son, les speed-up, les slow-down, etc., où on va avoir des livraisons de titres existants qui vont être accélérés ou ralentis, où la technologie qui était en place a atteint ses limites, où il a fallu aller plus loin, où on a monté en place un projet avec Benjamin, Rodolfo, l’équipe de Romain, pour justement résoudre ces problèmes et aller plus loin.

[00:15:06.710] — Vincent : Juste pour rappeler, peut-être, ce que l’on appelle « fingerprinting » chez nous ?

[00:15:10.910] — Aurélien : C’est l’empreinte audio. C’est comment on arrive à reconnaître, à partir d’une partie du signal audio, un titre dans notre catalogue.

[00:15:19.400] — Vincent : Pour détecter des doublons ou des choses dans ce genre-là.

[00:15:21.870] — Aurélien : Le bon exemple, c’est Shazam, qui a été l’une des exploitations commerciales à grande échelle et grand public. En ce qui nous concerne, c’est plutôt une orientation de gestion de catalogue approfondie, mais ça illustre parfaitement : 1. l’état de la recherche ; 2. aller un petit peu plus loin ; et 3. — et ça, c’est une étape importante — la mise à l’échelle, qui est un challenge autant que la recherche en soi.

[00:15:52.970] — Rodolfo : Oui, au niveau de la mise à l’échelle, pour donner une idée du problème à résoudre, il s’agit de trouver des doublons dans un catalogue qui est non seulement massif en lui-même, mais qui augmente tous les jours. Donc essayer de faire des choses autant en temps réel que possible — même si le temps réel est un grand mot, essayer d’être toujours à jour dans les clusters de fichiers audio pour identifier des groupes, des doublons, des ressemblances et pouvoir, avec cette information, agir sur le catalogue dans lequel il faut que l’on sache ce que l’on a et quelle est la meilleure manière de le recommander, de le servir pour ne pas recommander deux tracks semblables mais pas exactement identiques à la suite, par exemple.

[00:16:33.350] — Loïc : Et peut-être faire du filtre anti-spam, je dirais ? Tu parlais de slow-down, ça me parait surtout associé à l’exploitation de nos outils pour mettre en avant des morceaux par les labels ?

[00:16:45.590] — Aurélien : Ça, ce sont des effets un peu émergents, les speed-up avec des plateformes comme TikTok qui, justement, avaient des filtres à l’entrée. On accélère le titre, ça permet de passer les filtres. Et du coup, il y a une certaine émergence de ce type de cas de figure, mais le plus populaire, je pense que c’est le domaine public où n’importe qui peut nous re-livrer toujours la même track. Donc c’est important de bien identifier pour des raisons de qualité, de recommandation, et puis après on peut étendre aux phénomènes de fraude. Il y a beaucoup d’usages. C’est pour ça que, justement, ce projet est une brique dont on ne voit pas trop l’exploitation directe d’un point de vue produit, mais qui est essentielle chez Deezer dans la gestion du catalogue et des implications qu’il y a dans plein de fonctionnalités.

[00:17:41.180] — Loïc : Oui, c’est faire en sorte de connaître notre catalogue, au sens de très très bien le connaître pour pouvoir mieux le manipuler, comme disait Rodolfo, pour la recommandation et compagnie.

[00:17:50.130] — Aurélien : Et c’est lors de cette implémentation et de cette exploitation qu’on découvre aussi des nouveaux cas de figure qu’on n’avait pas forcément imaginés ou traités au départ, qui nous permettent d’aller plus loin et d’offrir un système toujours plus performant à nos utilisateurs et à nos ingénieurs.

[00:18:10.980] — Vincent : Tout à l’heure, Romain, tu as parlé brièvement du projet RECORDS. Peut-être que tu peux nous en dire un mot ?

[00:18:17.280] — Romain : Le projet RECORDS, c’est un projet collaboratif entre Deezer et tout un tas de laboratoires publics, donc d’universités, qui mélange des chercheurs de Deezer, qui sont plutôt des chercheurs en apprentissage machine, en recommandation, etc. — donc avec un contexte d’apprentissage statistique, de machine learning — et des sociologues et des géographes — il y a un labo de géographie. L’idée fondamentale de ce projet RECORDS, c’est d’essayer de comprendre les pratiques d’écoute de la musique et les goûts musicaux à travers le croisement de différents types de données. Nous, chez Deezer, on a très facilement accès aux logs d’écoute, aux traces d’écoute, c’est-à-dire qu’à chaque fois qu’on écoute un morceau, on enregistre le fait que le morceau a été écouté. Donc ça donne une caractéristique assez forte des pratiques d’écoute musicale. Mais ce n’est pas complètement suffisant parce que vous allez éventuellement partager votre compte avec un ami, vous allez écouter de la musique avec vos enfants ou tout simplement, vous êtes dans un contexte social où vous écoutez de la musique que vous n’aimez pas spécialement. Donc ça ne caractérise pas complètement votre pratique d’écoute musicale. Il y a des variables cachées qui ne sont pas visibles directement dans ces logs d’écoute. Donc l’idée du projet, c’était de croiser avec différents niveaux de données en utilisant aussi des questionnaires, qui est quelque chose de très classique : on va demander explicitement aux gens le type d’artistes qu’ils vont apprécier, les genres qu’ils vont apprécier, comment ils écoutent la musique, est-ce qu’ils écoutent la musique dans certains contextes, qu’est-ce qu’ils écoutent dans certains contextes… Et de manière encore plus qualitative — et c’est un outil très classique des sociologues, il y a aussi des entretiens qui sont faits directement avec des utilisateurs Deezer. Le sociologue va rencontrer l’utilisateur et va ouvrir une discussion sur sa pratique musicale. C’est quelque chose de très qualitatif qui est aussi croisé avec les données d’écoute de cet utilisateur, c’est-à-dire qu’il y a eu des outils qui ont été développés dans le cadre de ce projet pour justement montrer des représentations graphiques de ce qu’a écouté l’utilisateur. On lui dit par exemple : “Tu as écouté tel artiste le soir de manière récurrente” ou “Tu as écouté tel artiste quand tu étais en vacances” et on essaye d’ouvrir la discussion pour caractériser ses écoutes musicales.

[00:20:50.420] — Aurélien : C’est un peu la réconciliation entre ce qu’on perçoit nous-mêmes et ce qu’on fait réellement.

[00:20:57.810] — Romain : Exactement, c’est l’un des aspects du projet : on croise des sources de données qui ont des niveaux de bruit différents. J’ai parlé du côté log d’écoute et là, le niveau de bruit, c’est qu’on n’est éventuellement pas les seuls à écouter de la musique, c’est-à-dire que j’utilise mon compte pour écouter de la musique avec des amis, j’utilise mon compte pour écouter de la musique avec mes enfants ou je prête mon compte à mes enfants… Du coup, ces écoutes-là ne sont pas caractéristiques de nos goûts personnels. Et puis de l’autre côté, quand on fait des entretiens ou que l’on pose des questionnaires, il y a aussi une question de positionnement social et d’assumer ses goûts. Tout le monde n’assume pas complètement ses goûts vis-à-vis de son cadre social et du coup, il peut y avoir une distorsion. On peut cacher que l’on est fan de René La Taupe par exemple, et on ne veut pas le dire. Ça, ça se voit dans les traces. Alors, ça se voit… Ça se voit qu’on les aime.

[00:21:46.180] — Vincent : T’as regardé mes traces, c’est ça ?

[00:21:46.430] — Romain : Voilà ! Ça se voit dans les traces d’écoute, mais ça permet justement de “confronter” — c’est peut-être un mot un peu fort, mais en tout cas de questionner les gens sur ça dans les entretiens directement, et leur dire : “Tu as dit que tu n’aimais pas du tout René La Taupe mais pourtant, tu l’écoutes beaucoup.” Et là, ça peut être soit “non, ce sont mes enfants qui l’écoutent”, soit “oui, je n’osais pas le dire, mais effectivement…” Ça permet cette approche croisée. Elle est extrêmement riche et elle est très transverse parce que les sociologues vont être plutôt habitués à travailler avec des outils comme les questionnaires et les entretiens, et les gens de la Recherche chez Deezer sont beaucoup plus habitués à travailler sur les logs d’écoute. C’est vraiment un projet gagnant-gagnant où l’on va transmettre des données qui ne sont accessibles que chez Deezer — les traces d’écoute ne sont accessibles que chez Deezer — et on va les partager dans le cadre de ce projet collaboratif à des chercheurs qui vont pouvoir travailler dessus. Et puis en retour, on récupère les résultats de ces recherches et on profite de l’expertise de ces sociologues qui vont nous apporter une vue différente et un mode de compréhension des comportements d’écoute différent de ce que ce que l’on peut être habitué à faire chez Deezer.

[00:23:02.250] — Vincent : Donc ça va vraiment beaucoup plus loin que simplement le traitement du signal et regarder un audio pour essayer d’en extraire la substantifique moelle. On va dans d’autres disciplines également, dans les sciences humaines…

[00:23:13.000] — Romain : Tout à fait. Le traitement du signal audio est l’une des thématiques sur lesquelles on travaille. Là, le projet RECORDS n’a quasiment pas de traitement du signal audio. Il est vraiment sur la compréhension des comportements utilisateurs et des goûts des utilisateurs, ce qui est l’un des autres aspects sur lesquels on travaille dans l’équipe. On a des chercheurs qui sont spécialisés sur ce domaine-là également, sur la compréhension de comment on écoute la musique.

[00:23:38.240] — Aurélien : Pour info, ce projet-là, c’est trois ans de recherche — juste pour mettre un petit cadre sur les temporalités. Il y a quand même des temporalités qui sont un peu différentes et ce type de projet, c’est trois ans de recherche.

[00:23:54.040] — Romain : C’est un projet qui est en partie financé par l’Agence Nationale de la Recherche, qui est un organisme qui finance la recherche publique. Et le fonctionnement, c’est que l’Agence publie des appels à projets et on candidate en disant : “On a ce projet-là où on aimerait comprendre la musique”. Et puis on est sélectionné ou pas. Ce projet a été sélectionné, ce qui a permis de créer ce consortium et de financer des chercheurs, des moyens techniques, des doctorats, des post-doctorats — principalement du côté laboratoire. Ça a permis de financer cette recherche.

[00:24:29.580] — Loïc : Vous parliez du fait que tous les projets n’aboutissent pas. Est-ce que vous auriez quelques exemples, justement, de projets qui se sont révélés pas si intéressants que ça ou dont les résultats étaient négatifs ?

[00:24:39.370] — Romain : J’ai plein d’exemples, oui !

[00:24:41.350] — Loïc : Pour avoir une idée de ce que ça peut être, ce genre de projet ?

[00:24:43.950] — Romain : Il faut toujours garder en tête que ce n’est pas parce qu’un projet n’aboutit pas à un moment qu’il ne va pas être utilisé plus tard. C’est quelque chose qui est arrivé aussi. Typiquement, après mon arrivée dans l’équipe Recherche en 2015–2016, on avait travaillé sur la détection automatique des émotions dans la musique. Là, on est vraiment sur de l’analyse du signal et extraire automatiquement quel type d’émotion pourrait être ressentie à l’écoute d’un morceau de musique. On a sorti un système qui était capable de le faire à peu près. Il y a eu une publication sur un sujet connexe et c’est resté dans les cartons pendant quelques mois, jusqu’à ce que l’équipe Recommendation vienne nous dire : “En fait, on a besoin de ça, est-ce que vous savez le faire ?” Il se trouve qu’on savait le faire. Du coup, on leur a soumis les données. Donc voilà, parfois un projet n’aboutit pas tout de suite, mais il aboutit plus tard. Après, il y a des projets, effectivement… Typiquement, on a beaucoup travaillé avec une précédente thèse de doctorat sur tout ce qui était analyse des paroles à l’intérieur du signal audio. Donc on suppose qu’on ne dispose pas des paroles, mais on essaye d’extraire de l’information qui est liée aux paroles. L’une des sources d’information, par exemple, est la langue. On a fait un projet à l’époque, qui était fait par un stagiaire qui était encadré par le doctorant. Il se trouve que l’on avait des performances intéressantes qui étaient à peu près état de l’art à l’époque, mais qui ne paraissaient pas suffisamment bonnes pour être utilisées comme sources de données dans un contexte de production. Donc ça n’a pas été utilisé. Ça ne sera jamais utilisé parce que depuis lors, l’état de l’art a progressé et il y a des systèmes qui sont capables de le faire beaucoup mieux, même des systèmes publics. Il y a d’autres sujets. L’an dernier, on a un stagiaire qui a travaillé sur de la génération automatique de titres de playlists : donc sensiblement donner le contenu d’une playlist, la liste de ses morceaux, et le système génère automatiquement un titre et une description en langage naturel à partir de modèles de langage. On a quelque chose qui ne marchait pas trop mal, mais jusqu’alors ça n’a pas été utilisé, même pour faire un prototype. Peut-être que ça le sera un jour. On sait qu’il peut y avoir des demandes.

[00:26:47.010] — Aurélien : Justement, tous les projets que tu as dans les cartons et que tu n’exploites pas, comment tu peux trouver un débouché commercial sur ces technos qui ont été développées ? Et New Tech Services est là pour répondre non seulement à ce que l’on a développé pour nous, mais aussi à ce que l’on a développé et que l’on n’a pas exploité — ou pas encore — et que d’autres partenaires pourraient avoir.

[00:27:16.140] — Loïc : Quand on parle de la recherche au niveau de la production, qu’est-ce qu’il y a, par exemple, à Deezer pour faire tourner certains projets qui ont été initialement construits par les équipes de Recherche ? Et qu’est-ce qu’il y a pour permettre aux équipes de Recherche de travailler ? Je vais prendre un exemple comme ça de mon chapeau — vous me direz si c’est pertinent ou pas. Par exemple, la recherche utilise beaucoup de machine learning, qui utilise beaucoup de matériel type GPU et compagnie. Est-ce que vous avez ce type de matériel ? Comment l’exploitez-vous ? Quelles sont les infrastructures typiques de la Recherche aujourd’hui et de la production pour ce que la Recherche aura pu produire initialement ? Ou est-ce que c’est différent ?

[00:27:51.920] — Rodolfo : Chez nous, effectivement, ça se traduit par un gros usage de la part des chercheurs de machines spécialisées avec des GPU, justement pour entraîner vite des modèles et itérer rapidement sur les modèles. Une autre chose qui est clé aussi, c’est d’être capable d’accéder facilement à l’information, que ce soit en termes de logs de streams ou de fichiers audio. Ce n’est pas que pouvoir calculer des choses, c’est aussi pouvoir accéder à l’information disponible au sein de Deezer. Pour ça, il y a toute une infrastructure de cloud et de bases de données qui est assez importante. Quand on veut faire des prototypes ou produire des données en termes de production, c’est-à-dire des données qui vont être utilisées directement par les autres équipes, on a des clusters Kubernetes qui nous permettent de monter à l’échelle et passer de la phase de déploiement des modèles, c’est-à-dire de déployer des choses qui ont été entraînées sur le data set, au domaine du Big Data pour pouvoir faire du gros calcul en temps réel ou très rapidement.

[00:28:58.640] — Vincent : Oui, j’imagine que comme on a un catalogue — on l’a déjà dit — de plusieurs centaines de millions de titres. Non, pas plusieurs ! Au moins une bonne centaine de millions.

[00:29:08.100] — Loïc : Au moins plusieurs centaines de millions de fichiers.

[00:29:09.960] — Vincent : Plusieurs centaines de millions de fichiers, voilà !

[00:29:11.360] — Loïc : Je pense qu’il faut peut-être différencier le nombre de titres que nous avons — justement par rapport au fingerprinting — du nombre de fichiers réels. Nous avons peut-être huit fois le même morceau !

[00:29:21.260] — Aurélien : Oui, après, si on compte en plus les qualités différentes, etc.

[00:29:26.250] — Loïc : Tiens, ce sera une question pour la suite !

[00:29:28.330] — Vincent : Mais du coup, j’imagine qu’il y a besoin de beaucoup de parallélisation pour pouvoir traiter tout ce catalogue assez rapidement ?

[00:29:36.370] — Rodolfo : Oui, tout à fait. Beaucoup de parallélisation et puis, tout simplement, il y a tellement de titres qu’à un moment donné, il y a toujours des limites, il y a toujours des SPOF — des Single Point of Failure — quelque part. Donc le défi engineering, c’est de travailler avec les outils disponibles pour traiter le plus vite possible et jongler avec les contraintes, en quelque sorte. Je pense que le vrai travail de l’ingénieur, c’est ça. On ne fait jamais quelque chose de vide, sauf si l’on démarre une entreprise avec une infinité d’argent. Mais dans le monde réel, on jongle avec les contraintes et on essaie de faire le mieux possible pour adresser des besoins métiers avec l’infrastructure en place.

[00:30:13.930] — Loïc : Vous traitez l’ensemble du catalogue systématiquement ou vous faites, par exemple, de l’analyse uniquement sur le top 200 000 ou ce genre de truc ?

[00:30:25.780] — Aurélien : Les deux. Typiquement, pour le fingerprint, il y a une nécessité de traiter l’ensemble du catalogue. Pour d’autres systèmes, la classification, du calcul de mood, etc., on va plutôt prioriser sur du top — justement pour des raisons d’efficacité. Après, si un titre n’est pas écouté, est-ce qu’on a besoin d’avoir sa métadonnée de mood ? On a fait des choix. Il y a un certain nombre de systèmes qui travaillent avec l’intégralité du catalogue, d’autres avec une partie seulement. Dès qu’on arrive à de l’exploitation en production, tout va être choisi pour être le plus efficace possible dans un contexte et dans un environnement particuliers. On va essayer d’adopter la meilleure stratégie. Après, on n’a pas toujours la meilleure stratégie du premier coup et on itère, comme tout ingénieur. Mais voilà, c’est un peu l’approche qu’on a.

[00:31:19.810] — Loïc : Et vous travaillez sur les fichiers livrés par les providers ou est-ce que vous travaillez aussi avec les fichiers qu’on peut réencoder ? Parce que tu disais qu’on a les fichiers en plusieurs versions, parce qu’on a les FLAC qui nous sont fournis, mais on a aussi les versions MP3 128, 320, voire d’autres.

[00:31:35.070] — Rodolfo : Ça dépend vraiment de la tâche. Ça dépend sur quoi a été entraîné tel ou tel modèle et quelle est la qualité qui est nécessaire à tel ou tel modèle. Il y a toujours un trade-off. Plus le fichier est gros et plus il y a de données, plus le traitement associé est long. Là encore, on jongle avec ces contraintes. Et puis, il y a plein d’algorithmes qui n’ont pas besoin d’un FLAC et marchent très bien avec du MP3 128. Donc on peut se permettre de faire tourner sur des réencodages de fichiers.

[00:32:00.020] — Loïc : D’accord, donc on peut gagner juste en ciblant les bons fichiers. C’est intéressant.

[00:32:06.510] — Vincent : On le disait, les recherches que vous faites sont publiées — j’imagine, la plupart du temps. Est-ce que vous publiez aussi les résultats sous forme de code ? En vrai, je connais la réponse partiellement puisque je sais que l’on a des choses qui sont publiées en open source. Comment sont gérées les publications, notamment des modèles ? Est-ce que ce sont des modèles qui ont été entraînés uniquement sur du public ? Est-ce que ce sont des choses qui ont été entraînées aussi sur des choses dont on n’a pas forcément les droits en tant que telles ? Puisqu’on le rappelle, Deezer est juste “passe-plat”, c’est-à-dire qu’on a des fichiers qui ne sont pas à nous et on les met à disposition, mais on paye des droits à des ayants droit. Comment ça se passe au niveau publication de ce que l’on fournit à l’extérieur ?

[00:32:49.470] — Aurélien : Juste avant, je voudrais préciser que toutes les exploitations que l’on fait sont en accord avec les ayants droit. Il n’y a pas d’exploitation sauvage. Tout a été encadré : on sait ce qu’on a le droit de faire, ce qu’on n’a pas le droit de faire. Tout est fait en accord avec nos partenaires, même à des fins de recherche. Après, pour ce qui est de la partie open source et reproductibilité des résultats — parce qu’il y a eu une crise dans le milieu de la recherche il y a quelques années, où pour beaucoup de publications, on avait du mal à reproduire les résultats. Il y a eu pas mal de changements et maintenant, il y a vraiment beaucoup de rigueur sur la possibilité de reproduire. Après, ça dépend aussi du contexte, dans le sens où l’on n’a pas forcément accès aux mêmes infrastructures : un chercheur tout seul et un chercheur au sein d’un grand labo n’auront pas forcément accès aux mêmes machines. Mais il y a quand même une nécessité de fournir à la fois le code et d’utiliser des data sets publics. Tu me diras si je me trompe mais je pense que l’on est un peu dans ce cadre-là aujourd’hui.

[00:34:03.660] — Romain : Effectivement, l’aspect reproductibilité est quelque chose de complètement fondamental pour la recherche parce que si vous publiez un papier mais que vous ne donnez pas les moyens de reproduire vos résultats, ça donne beaucoup moins de valeur à votre recherche. La question des données est assez fondamentale, surtout en musique, puisqu’effectivement, le contenu est copyrighté. Et potentiellement, si l’on fait des choses sur du contenu copyrighté, qui ne serait que, même sans entraînement, de l’évaluation sur des bases de données privées, cela rend très difficile le partage de résultats. C’est vrai sur l’audio, mais pas que. Typiquement, on ne peut pas publier comme ça les données d’utilisation des utilisateurs. Dès que l’on fait des travaux sur ces données-là, on est obligé de faire une sorte de compromis pour synthétiser ces données et éventuellement publier quand même des données, mais qui respectent la vie privée des gens. Pour la plupart de nos papiers, effectivement, s’il y a du code qui est impliqué pour reproduire les expériences, on essaye de fournir le code. Ce code-là n’a vraiment d’intérêt que pour les gens qui veulent exploiter les résultats du papier, reproduire les expériences du papier. Ce ne sont pas forcément des outils. Il est arrivé aussi que l’on soumette des choses qui soient beaucoup plus proches d’un outil qui puisse être réutilisé pour beaucoup d’autres choses. Je pense notamment à Spleeter, qui était un outil pour faire de la séparation de sources, qui était à peu près état de l’art quand il est sorti il y a quelques années en 2019, et qui nous semblait être un manque à la communauté. Beaucoup de gens n’étaient pas directement dans la séparation de sources mais pouvaient potentiellement utiliser la séparation de sources dans leurs travaux de recherche pour faire d’autres tâches, par exemple de la transcription automatique sur partition — extraire une partition de musique — ou de l’analyse spécifique de la voix chantée. On connaissait à peu près l’état de l’art, on avait une expertise sur la séparation de sources et cette expertise n’était pas forcément répandue dans le milieu. Dans le cadre de projets internes, on avait entraîné des modèles et on se rendait compte que ces modèles avaient beaucoup de valeur dans la communauté scientifique et qu’il était intéressant de les partager — sachant qu’en interne, on avait un petit peu de difficulté aussi à se dire “ça a de la valeur directement pour Deezer, on peut les utiliser directement.” Et c’est comme ça que l’on en est venu à publier ces modèles, qui ont été utilisés très largement dans la communauté scientifique, et je dirais même bien au-delà de ce que l’on imaginait. Il y a eu un phénomène assez rigolo aussi, c’est que les gens chez Deezer se sont rendus compte que l’on avait ces outils-là, ces modèles-là entraînés, une fois qu’on l’a sorti. Ça a créé de la prise de conscience même au sein de Deezer et il y a eu des initiatives suite à ça. Alors, il se trouve que la séparation de sources est quand même très difficile à utiliser dans le cadre de Deezer, notamment pour des questions de droits à négocier puisqu’en fait, quand on fait de la séparation de sources, on recrée un nouveau master à partir d’un master. Donc il faut négocier des droits spécifiques avec chaque label si l’on veut faire une application de karaoké, ce qui a toujours été un gros souci dès que l’on a voulu sortir des applications de karaoké. Mais il y a quand même eu une initiative et il y a eu une application de karaoké qui est sortie sur un catalogue très, très restreint pour quelques mois autour de Noël. Voilà, donc il y a eu un effet partage à la communauté et large utilisation mais il y a aussi eu une sorte d’effet boomerang intéressant sur Deezer.

[00:37:35.340] — Vincent : Moi, j’ai l’impression que depuis que je suis chez Deezer, vous faites des trucs et puis comme tu disais, il y a des sujets qui sortent tout à coup. Tu vois Spleeter arriver et tu fais “Waouh !” Ah oui, quand même, ça calme !

[00:37:45.120] — Aurélien : C’est un peu choisi aussi parce que la R&D attire beaucoup et si l’on demande trop de prod à une équipe R&D, elle n’a plus le temps de faire de recherche. On l’a compris au début où tu développes des outils et puis tu te retrouves à les maintenir, ce qui est normal mais ce n’est pas un cycle de recherche. Dans un cycle de recherche, il y a un moment où tu transfères la connaissance à d’autres équipes et ce n’est plus à toi de le maintenir. C’est pour ça qu’il y a un côté pas super mis en avant parfois. Il y a des raisons derrière pour avoir ces temps longs. C’est sûr qu’on ne sort pas non plus un Spleeter tous les trois mois !

[00:38:36.150] — Loïc : On a posé des questions mais il y a peut-être des choses que vous voulez spontanément partager concernant la recherche chez Deezer ?

[00:38:41.710] — Aurélien : Il y a une phase que j’aimerais partager, c’est le début de la mise en place d’une équipe de Recherche. Telle que je l’ai vécue, c’est assez difficile. Pourquoi ? Parce que le coût d’initiation, i.e. mettre en place ses projets, le temps long — et notamment quand on vient d’une start-up où tous les temps sont très courts, tout va très vite — de commencer à changer de référentiel, de commencer à se projeter dans des projets où la première étape est peut-être une publication, où c’est de la connaissance, où on ne voit pas tout de suite les exploitations directes dans le produit… Au niveau d’un management, ce sont aussi des projets qui sont parfois longs et durs à porter. Mais si l’on arrive à passer cette étape d’initiation où l’équipe se met en place, les projets se mettent en place, les premières publications et les premières exploitations, c’est là où — et tu l’as expliqué avec Spleeter et je pense que c’est assez révélateur — on voit ce que ça peut donner, les portes s’ouvrent et tout de suite, tout le monde veut faire de la recherche. C’est assez intéressant comme évolution dans la société parce que ça aide aussi la société à se projeter, notamment quand on est une start-up. Il y a beaucoup de start-ups qui se montent et le département de recherche n’est pas forcément le focus initial. Mais une fois qu’on l’a mis en place, c’est aussi, par exemple, avec des contrats CIFRE. Un contrat CIFRE, c’est un engagement de trois ans vis-à-vis d’un candidat. Il faut pouvoir se projeter et apporter de la pérennité à tous ces projets. Et je trouve que ça aide vachement la société aussi à se structurer autour des trois temporalités qui sont le court terme, le moyen terme et le long terme. Pour le long terme, pour porter des sujets pendant trois ans, il faut des gens, il faut un mental…

[00:40:37.340] — Vincent : C’est intéressant ce que tu dis. C’est vrai que par rapport aux start-ups, pour avoir fait quelques boîtes dans ma carrière, je crois que Deezer est la première que je fais où il y a un vrai département de Recherche. Dans certaines sociétés, il y a des gens qui essaient de faire passer des projets qu’on a montés pour essayer d’avoir du crédit impôt recherche, mais en réalité, c’est vraiment de la pure application de la feature qu’on essaie de faire évoluer. C’est la première fois que je suis dans une société où il y a vraiment un département de Recherche qui travaille avec des universités, qui monte des projets. Certes, c’est de la recherche appliquée mais sans forcément avoir un but ultime d’arriver dans le produit, c’est vraiment de la recherche pour faire avancer les choses. Ce n’est pas souvent que l’on voit des sociétés qui vont vraiment, elles, travailler dans le domaine de la recherche, pour faire avancer la connaissance pour tout le monde.

[00:41:23.450] — Aurélien : Ce sont vraiment des projets à long terme. Un département de Recherche — ça fait 11 ans cette année que le département existe — s’inscrit dans la durée et les récompenses, les résultats, ne sont pas instantanés. Il faut être patient. Ça s’inscrit dans un temps relativement long mais c’est bénéfique pour l’ensemble de la société. L’aura que ça va apporter à la société, l’enrichissement que ça peut avoir de côtoyer des chercheurs, des points de vue différents — et tu en parlais avec le projet RECORDS : sur un même sujet que l’on va aborder, nous, d’un point de vue très industriel, très commercial, sur une exploitation produit de features, etc., avoir ces gens avec un regard complètement différent va aussi nous permettre de construire une vision complètement différente et enrichie d’une même problématique. C’est pour cela que j’encouragerais toute start-up à mettre le pied à l’étrier.

[00:42:22.730] — Loïc : Qu’est-ce qui a permis de convaincre ? Tu as une idée du truc qui a permis d’avoir le déclic et qui a convaincu qu’il fallait faire ça ?

[00:42:31.260] — Aurélien : Quand on a commencé la reco notamment et que l’on s’est confronté à des problématiques complexes de métadonnées où l’on avait beau mettre en place tout un tas d’algorithmes pour avoir la meilleure recommandation, on se confrontait à des problématiques de métadonnées qui ne dépendaient pas de nous mais de l’industrie. L’industrie n’était pas forcément mature ni standardisée — il n’y avait pas forcément le DDEX et ce genre de choses. On en est venu à se dire : “la seule source de confiance aujourd’hui, c’est l’audio”. Sauf que l’on n’avait pas la connaissance. Il a fallu créer cette connaissance. On a trouvé tout un tas de systèmes open source — et on en revient à l’open source, qui nous a permis de commencer. On s’est rendu compte que ça ne répondait pas à l’ensemble des problématiques et qu’il fallait aller encore plus loin. Et je me souviens du stage de Jimena (Royo-Letelier) sur la classification speech music. Pourquoi ? Parce qu’on avait une problématique de catalogue qui est qu’on nous livre des audiobooks comme des musiques, c’est-à-dire que la metadonnée nous dit : “non, c’est une chanson.” Mais dans la réalité, ça ne l’est pas. Comment on va pouvoir réussir à détecter de manière quasiment sûre que c’est un audiobook ? C’est en faisant un classifier qui va exploiter l’audio. Et c’est ce genre d’applications et de problématiques qui nous ont permis de monter tout ça.

[00:43:55.720] — Vincent : D’accord. Et de fil en aiguille, creuser un peu plus loin, toujours plus loin…

[00:43:59.290] — Aurélien : On va aller sur les moods et on va se dire : “est-ce que l’on pourrait ajouter encore des métadonnées qui sont quasiment inexistantes sur le catalogue ?” Et de fil en aiguille, on a construit l’équipe de Recherche et ses exploitations.

[00:44:15.560] — Loïc : Très intéressant en tout cas !

[00:44:17.100] — Vincent : J’ai une dernière question. Où est-ce que l’on peut retrouver éventuellement des papiers que vous avez sortis ? Est-ce qu’il y a des endroits où l’on peut aller lire des choses, voir des choses ?

[00:44:28.260] — Romain : On a un site de recherche qui, normalement, est à peu près à jour sur nos publications, qui est research.deezer.com. Là, on a accès à tous les papiers qui ont déjà été publiés. Je pense qu’il y en a entre une quarantaine et une cinquantaine depuis le début de Deezer.

[00:44:47.660] — Aurélien : Et vous pouvez follow notre Twitter aussi, @ResearchDeezer.

[00:44:51.010] — Vincent : Maintenant, on dit “X” !

[00:44:52.520] — Aurélien : Ah oui, pardon !

[00:45:02.390] — Vincent : On va passer à la deuxième partie !

[00:45:04.120] — Loïc : On parle de coups de cœur et de musique. L’idée, c’est de nous partager des coups de cœur soit de votre vie complète, soit juste de votre journée ou de vos dernières semaines, ou de vos vacances, puisque ce serait le thème !

[00:45:16.170] — Romain : Récemment, il y a un morceau de Lawrence qui est sorti, qui s’appelle “I’m Confident That I’m Insecure” et que j’aime beaucoup. J’aime beaucoup Lawrence et je conseille très fortement ce titre.

[00:45:29.740] — Aurélien : Pour ma part, je suis tombé sur l’album de Dombrance, qui est de l’électro assez sympa. C’est mon coup de cœur du moment. J’écoute aussi beaucoup de podcasts donc j’invite tous ceux qui écoutent à découvrir Albert Moukheiber, que j’ai découvert cet été et qui a des podcasts très intéressants.

[00:45:50.980] — Rodolfo : Moi, comme Romain et peut-être Aurélien, je rentre de vacances et j’ai des enfants en bas âge. Donc j’ai écouté pas mal de chansons avec mes enfants.

[00:46:00.830] — Loïc : C’est toi qui écoutes René La Taupe, alors ?

[00:46:04.310] — Rodolfo : Non, ce n’est pas René La Taupe ! Le coup de cœur — enfin, c’est peut-être un peu fort — mais en tout cas, la musique qui m’a marquée ces derniers temps, ce sont les chansons d’Aldebert, qui est un peu le haut de gamme de la musique pour enfants. C’est vraiment très très bien, notamment la chanson avec Mortelle Adèle qui est très très bien écrite. C’est une excellente chanson. Voilà, Aldebert est dans mon cœur !

[00:46:26.570] — Loïc : Apparemment, il faut que l’on réponde aussi. Très récemment, j’ai réécouté BADBADNOTGOOD. Je ne sais pas si vous connaissez, c’est un mélange de jazz et d’électro. C’est vraiment pas mal.

[00:46:35.250] — Vincent : Moi, je suis dans une période où je réécoute des choses et en ce moment, je réécoute beaucoup de choses avec les Sparks. Et j’ai notamment beaucoup réécouté l’album qu’ils ont fait avec Franz Ferdinand, le FFS, qui était vraiment très très bien. Je l’ai beaucoup réécouté pendant l’été.

[00:46:52.010] — Vincent : Et puis on va en rester là. Merci encore pour toutes les informations que vous avez partagées avec nous, Rodolfo, Aurélien et Romain. On se retrouve bientôt pour un nouvel épisode !

[00:47:02.150] — Rodolfo : Merci à vous !

[00:47:02.870] — Loïc : Merci !

[00:47:03.320] — Romain : Ciao !

[00:47:03.690] — Aurélien : Merci !

[00:47:05.680] — Vincent : Vous venez d’écouter un épisode de Deez is la tech et nous espérons que vous avez passé un bon moment en notre compagnie. N’hésitez pas à nous attribuer quelques étoiles si votre application de podcast le permet et à nous faire part de vos retours via les réseaux sociaux et notre compte @DeezerDevs. Ceux-ci nous aideront à améliorer notre contenu afin de le rendre plus utile, enrichissant et plaisant à écouter. Enfin, n’oubliez pas que toutes les transcriptions de nos épisodes, ainsi que les coups de cœur de nos invités, sont disponibles sur notre blog deezer.io. À très vite pour un nouvel épisode et d’ici là, ne pétez ni les plombs, ni les crons !

Références