Quand on arrive au QG de Odezenne, dans le 18e arrondissement de Paris, c’est un peu le foutoir. Des cartons de vinyles – ceux de leur nouvel EP, ‘Rien’ -, rendent le passage difficile, la grande table où travaille la petite équipe déborde d’ordis, paquets de cigarette et tasses de café. Normal : les bureaux ne sont utilisés que depuis 2 semaines, un dégât des eaux ayant retardé leur ouverture.
Les 3 potes formant Odezenne, groupe de rap – et bien plus encore – lauréat du prix Adami Deezer de Talents en 2012, sont eux aussi en retard : bavards en interview, ils ont fini par décaler le calendrier au fil des entretiens, explique leur pote David, une jambe dans le plâtre.
Une demi-heure plus tard, Odezenne est enfin dispo. Chaque membre – Jaco, chanteur, Mattia le compositeur et Alix le chanteur principal – nous claque la bise chaleureusement, propose une bière. L’enthousiasme est palpable : ils ont appris dans la journée que le titre ’Rien‘ va tourner sur France Inter cet été. Leur première diffusion radio depuis leurs débuts, en 2008.
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Jaco, dans sa marinière bleue, se précipite sur la pile de vinyles attendant d’être expédiés, s’empare d’un scotch pour coller une photo sur chacun d’eux. Mais ses deux compères l’invitent à les rejoindre sur l’étroit canapé où ils s’entassent pour répondre à nos questions. Nous sommes à deux jours de leur passage sur la scène Ricard Music pour la Fête de la Musique, à Denfert-Rochereau, et le groupe bordelais n’a que ça en tête :
Comment ça va ?
Alix : Très bien !
Comment vous sentez-vous à l’approche du concert pour la Fête de la Musique ?
Alix : J’ai regardé une vidéo hier soir, de l’année dernière. J’ai pris un coup de pression ! 10.000 personnes, c’est quelque chose. On n’a jamais fait de concert devant autant de monde ! A priori, il y aura entre 7 et 10.000 personnes, c’est impressionnant. J’espère que je vais réussir à monter sur scène.
Mattia : Comme à chaque fois, on devrait y arriver.
Jaco : On va y arriver mais on va bien flipper.
Alix : J’aimerais qu’on fasse un beau concert.
Vous faites quoi pour vous rassurer avant un gros concert ?
Alix : On a tout un protocole. On se tape sur les épaules et on frotte le long des bras, de dos. On se prend dans les bras, on se tape dans les mains 15 fois..
Jaco : On dit des textes très précis.
Alix : On a un vrai cérémonial qui dure un peu plus de 15 minutes. Il y a du whisky toutes les 3 minutes. Mine de rien, c’est devenu un genre de rituel, qui te permet d’atteindre une certaine concentration. Ca permet de te rappeler que tu es sur scène dans 10 minutes. Si je ne fais pas ça, j’ai l’impression d’être jeté devant les gens. Il faut un moment de dépressurisation.
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D’autant plus que la scène est très importante pour vous, c’est elle qui vous a propulsés à vos débuts. Comment définiriez-vous la scène en un mot ?
Jaco : C’est sauvage.
Mattia : J’aime vivre les morceaux de manière forte. Je suis rarement là pendant les concerts, parce que ça me permet de me perdre dans la musique que l’on fait. C’est rare, les occasions de se perdre dans notre musique, sauf quand on la joue.
Les black-outs, ça vous arrive ?
Alix : Quand ça se passe vraiment bien, c’est toujours très rapide. De là à dire que c’est un black-out, non, mais tu ne peux pas te refaire tout le concert à l’envers. Il reste des images, comme d’un rêve.
Mattia : Je peux avoir des prises de conscience qui me font dire que je n’étais plus vraiment là. Parfois, quand un morceau va partir vachement fort, je ne suis plus là pendant 15 secondes. Il y a des moments où tu déconnectes totalement. Il n’y a que la scène qui produise cela.
Qu’est-ce que ça représente pour vous, la Fête de la Musique ?
Alix : Ca représente surtout des souvenirs de moi allant dans la rue pour écouter des groupes. On a la chance de jouer sur cette scène-là, ça risque de changer la donne, créer un souvenir hors-norme. Jusqu’à présent, c’était une journée où on ne voulait pas faire de concert, mais faire le pont. C’est un peu comme la fête du travail pour un chômeur.
Mattia : J’aime bien le côté où tu peux aller faire chier tout le monde avec ta musique, aussi pourrie soit-elle, jusqu’à minuit. T’es dans ta chambre, tu fais des trucs nazes, tu ne peux pas jouer trop fort. Et là tu vas dans la rue, et tu te prends pour une rock star. Je ne pense pas qu’il y aie beaucoup d’endroits où tu as légalement le droit de le faire, si ce n’est ce jour-là.
Alix : Il y aussi des concerts de ouf !
Mattia : Oui, mais moi je pense surtout aux groupes pourris.
Alix : J’ai déjà découvert des gens qui jouaient vachement bien.
Jaco : J’ai des souvenirs de la Fête de la Musique à Paris où tu prends une bouteille de whisky et tu traces partout, parfois tu as des trucs pourris, des évangélistes, des ukulélés. C’est le désordre.
Mattia : C’est une sorte de technival, c’est no-limit. Chacun fait ce qu’il veut, où il veut.
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J’ai écouté votre appel du 18 juin, où vous parlez du rôle d’Internet et de l’industrie musicale. Pouvez-vous me résumer votre opinion sur ces 2 sujets ?
Alix : Pour la forme, il s’agit du discours de De Gaulle, dans lequel on a remplacé certains mots. Juste en faisant, ça a donné ce discours, donc parfois ça dépasse un peu notre pensée. Mais dans le fond, on est d’accord avec cette idée qu’Internet change la donne de manière folle. A tous les niveaux : production, diffusion, promotion, accessibilité. C’est un lien direct avec notre public.
Jaco : C’est une nouvelle façon d’écouter de la musique.
Alix : Quand on l’a lancé pour la première fois, en 2010, avant la sortie de notre deuxième album, on avait dû faire écouter des maquettes à droite et à gauche, mais on n’a jamais eu de réponses. Du coup, on avait besoin de se remotiver en se disant que ce lien, on l’avait, avec Myspace, Facebook. On avait déjà fait des concerts, gagné quelques tremplins, mais on n’avait aucun soutien de l’industrie musicale. Et peut-être que ce n’était pas le moment, mais du coup, on était un peu dans cette presque colère, ce sentiment d’injustice.
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Vous passez des concerts organisés via Facebook – « Odezenne à la demande – à l’Olympia en mars 2015 !
Alix : C’est notre côté américain ! ‘Everything is possible !’ [rires]
Jaco : ‘Unbelievable !’
Alix : ‘ I believe I can fly’ ! De plus en plus de gens nous suivent. Et puis, on n’est pas très patient. On a commencé la musique après 25 ans, donc on a moins de temps que ceux qui commencent à 14 ans. A un moment, il faut y aller. On vit les étapes comme des kamikazes.
Est-ce que vous avez laissé tomber des choses pour Odezenne ?
Mattia : Tout.
Alix : Des relations amicales qui se sont stoppées à cause d’Odezenne, qui prend de la place. Tu ne réponds pas au téléphone parce que tu es en concert, parce que tu es allé chercher des CDs aux distributeurs… Au bout d’un moment, tu te rends compte que ça fait 6 mois que tu n’as plus appelé personne…et que c’est pour ça que plus personne ne t’appelle. Il y a un peu d’isolement, si tu ne fais pas attention. On se laisse vite glisser. Travailler dans la musique est un job à plein temps.
Mattia : On ne déconnecte jamais.
Alix : Quand tu rentres chez toi, après 3 concerts, t’as pas envie d’aller en boîte le week-end.
Jaco : Tu veux rester dans ton pieu.
Vous avez enregistré votre nouvel EP à Berlin : qu’est-ce que vous y êtes allés chercher ?
Mattia : Du neuf.
Alix : Des repères.
Mattia : On s’est toujours enfermés pour composer, et au bout d’un moment, on s’est rendu compte qu’on avait sucé tout le sang de Bordeaux, des environs, des maisons parentales, des amis, de la cave où on répète. Alix a suggéré que l’on parte. Berlin et Prague étaient les finalistes, on a choisi Berlin.
Jaco : On a passé 3 semaines à bouffer des crêpes et du pain perdu. On a fait un record, un soir, à trois : à peu près 27.000 calories.
Mattia : On avait pris la décision de vivre d’autres choses pour avoir de nouvelles choses à raconter.
Jaco : Si tu veux faire un nouvel album, il faut découvrir de nouvelles choses. En restant chez toi, c’est un peu compliqué.
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Cet EP s’appelle ‘Rien’, pourtant il s’y passe plein de choses ! Pourquoi ce titre ?
Alix : C’est le titre que l’on voulait mettre en avant. C’est un peu le premier titre d’Odezenne. C’est ce qu’on veut faire, en terme de musique. On a touché quelque chose avec ce morceau. On est vraiment là où on est content d’être. Et puis, cet EP est très féminin, la femme joue un rôle central dans 3 titres – ‘Je Veux Te Baiser’, ‘Rien’, ‘Dieu Etait Grand’. Les histoires d’amour sont éphémères, c’est peut-être une provocation de dire qu’il n’en reste rien. C’est pour cela qu’on scotche des photos à la main [sur les vinyles], parce qu’elle ont vocation à se décoller, à ne pas durer. C’est presque un concept.
Le single ‘Je Veux Te Baiser’ marche très bien sur Internet. Est-ce que vous vous y attendiez ?
Alix : Non, c’est super !
Jaco : Pas autant.
Alix : La première fois qu’on l’a joué à Nova, ils nous ont dit que tout le monde en parlait sur Twitter. Comme si d’un seul coup, tout le monde s’était mis à baiser dans la rue ! C’est super qu’il y aie ce bouche-à-oreille ! Tout le monde le chante en concert, comme un défouloir, c‘est vachement agréable de voir tout le monde sauter partout, chanter en chœur. Ca prend tout son sens. Quand on l’introduit, on dit que c’est un remède à la crise, une chanson d’amour. Un cri de joie.
Est-ce qu’on peut expliquer ce succès par le fait que vous avez posé des mots très simples sur un sentiment que tout le monde peut avoir ?
Mattia : C’est un peu ça. Pour moi, ça veut dire ‘Je t’aime et j’ai envie de faire l’amour avec toi’, de manière un peu coquine. Parce que tu as envie de faire sourire ton ou ta partenaire.
Jaco : Les couples, entre eux, faut pas se voiler la face, ils font l’amour, ils disent ‘on baise ?’ Et c’est pas mal, à ce qu’il paraît.
D’avoir des rapports assez crus ?
Jaco : D’avoir des rapports tout courts [rires]. Mais c’est pas cru. ‘Je vais t’éclater la chatte’, c’est cru. ‘Je veux te baiser’, c’est pas cru. Lis Rabelais, ça, c’est cru.
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Le reste de l’EP est assez sombre, avec l’idée de chercher sa voie, un sens. C’est une question qui vous habite ?
Alix : Elle habite beaucoup d’êtres humains. Après, il peut paraître sombre sur certaines choses, mais je trouve qu’il est aussi plein d’espoir. Il parle pas mal des générations futures. ‘Dieu Etait Grand’, le dernier morceau, finit quand même sur 2 minutes de samba ! Tu as plutôt envie de relever le torse et de dire ‘C’est cool, j’y vais’. C’est quand même ça qu’on veut impulser, plus qu’autre chose. Mais on n’a pas peur d’aborder des questions existentielles, qui sont forcément angoissantes. Mais pas que. Il y a aussi plein de sourires.
Ce qui vous intéresse le plus, c’est l’intime ?
Alix : Oui, à mort.
Mattia : Et chercher cette ambiguïté dans les choses. On n’est pas trop dans la plainte. On a réussi petit à petit à mettre une forme de distance dans les propos. Parce qu’il y a une sorte de pudeur dans ce que l’on fait. On n’est pas des donneurs de leçons, on est plutôt des poseurs de constatations.
Il y a une évolution nette entre cet EP et ce que vous avez fait auparavant. Ca s’est fait naturellement ?
Mattia : Il n’y avait pas d’objectif. On s’était juste dit qu’on allait enlever les samples, qui prenaient pas mal de place, sans tomber non plus dans une configuration de groupe simple guitare-basse-clavier. J’ai fait vachement de recherches sur les sonorités, les synthés, on a acheté des vieilles machines. Tu peux avoir toute la richesse sonore que tu veux : comme des cœurs de vieilles dames..
Jaco : Des cœurs de vieilles dames ?
Alix : Où est-ce que tu trouves des cœurs de vieilles dames ?
Mattia : A la boucherie ![rires]
Jaco : On voulait faire sonner le français, aussi.
Mattia : J’avais cette vision de faire des morceaux assez sérieux, assez agréables à écouter, en changeant un peu le discours. Je trouve que c’est vraiment ça qui a changé. C’est plus du tout à prendre de la même manière. On peut l’écouter dans plus de configurations différentes, et de manière un peu plus légère. On s’est pris plus la tête pour faire un truc plus personnel. Quand j’entends Vincil, Flying Lotus, on pouvait en être proche dans certains morceaux, mais on est venu à autre chose. C’est là qu’est la différence entre la musique et le son.
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Concernant les réseaux sociaux, vous les utilisez beaucoup. Vous dites dans la chanson ‘Novembre’ : « On s’aime, on vit, à travers nos écrans » , qu’est-ce que vous voulez dire par-là ?
Jaco : C’est notre côté Chatroulette.
Alix : Tu l’as vu le film ‘Her’ [de Spike Jonze, sorti en 2014, ndlr] ? Il m’a vraiment touché, parce que j’ai l’impression qu’on en est vraiment pas loin. Avec tous les couples qui se forment sur Internet, tu as l’impression que les gens s’y lâchent plus que dans la vie réelle. Ils sont en sécurité dans leur chambre et se tapent des trips. C’est assez symptomatique de notre époque. Même à 12.000 bornes, tu peux te taper une nuit de folie avec une hongkongaise.
Vous draguez sur Internet ?
Alix : Non, je suis avec une nana depuis longtemps. Et puis, t’imagines un mec d’Odezenne sur Tinder ? Ca finit sur Twitter l’heure d’après ! Et si je fais ça, c’est 2 claques dans la tête direct par ma copine.
Pourquoi êtes-vous beaucoup présents sur les réseaux sociaux ?
Alix : Parce que c’est ce qu’on a à porté de main, gratuitement, et nos fans aussi. Comme on n’était pas joués en radio, c’est la seule chose qu’on a. De gros partenaires nous font parfois de la visibilité, comme ça a été le cas de Deezer. En 2009, c’était totalement inattendu que l’on se retrouve en home-page de Deezer pendant 15 jours. Grâce à ça, on a pu aller sur les routes de France pendant un an, et il y avait toujours un mec pour nous dire ‘Je vous ai découverts sur Deezer’. Là, tu sens que tu n’es pas tout seul.
On a annoncé l’Olympia sur Facebook, parce qu’on n’a pas d’argent pour payer des pubs dans des magazines, on ne passe pas à la télé. C’est plus une conséquence qu’un choix.
Passons aux questions des internautes. L’un d’eux veut savoir : si vous étiez un animal, lequel seriez-vous ?
Alix : Un puma.
Jaco : Un chien.
Mattia : Une hyène.
Pourquoi ?
Mattia : Parce que je suis quelqu’un de très présentable, mais je peux aussi basculer du mauvais côté. On m’appelle ‘Gremlins’, d’ailleurs.
Quelqu’un demandait si les chimpanzés blonds existent ? [Figure tirée de leur titre ‘Chimpanzé’]
Jaco : Oh oui, ils sont partout. Le chimpanzé, c’est quelqu’un qui copie quelque chose. Blond, ça renvoie à l’idée de bruns qui se teignent en blonds. Ces gens qui se copient entre eux.
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